Bon je vous la raconte mais à condition que vous soyez discrets.
Mouais, quelque chose me dit que ce n'est pas gagné.
Ça s’est passé il y a 25 ans, un samedi matin vers les dix heures je décide d’aller faire quelques jets de cuillers à la Moselle toute proche de la maison. Comme c’est à 500 m j’y vais à pied. Hé oui, le pêcheur est sportif.
Au bout d’une petite demi-heure j’avais attrapé deux belles perches 25 cm environ. Oui je sais, le pêcheur est vantard aussi, mais sur ce coup là il dit vrai.
A l’endroit où j’étais posté, la rivière est encombrée par les débris en béton suite à la destruction du pont par les allemands lors de leur déroute à la fin de la guerre. Quelques arbres bordent ces débris et apportent l’ombrage cher aux carnassiers que sont les perches. Tout le temps que je suis resté là je lançais ma cuiller avec précision
entre les branches des saules pleureurs pour atteindre un endroit où l’eau est sombre. Dans ce genre d’endroit s’il n’y traine pas un ou plusieurs carnassiers, on n’en trouvera nulle part ailleurs. Tout se passait bien et les deux prises que je venais de faire m’encourageais à continuer. Mais une erreur de tir,heu non, un moment d’inattention, heu non plus, un moment de faiblesse ou plutôt un traitre coup de vent (car vous l’aurez compris les vrais pêcheurs ne commettent jamais d’erreur) envoie mon leurre dans les branches.
Merde, me voilà accroché ! Pas de panique ça m’est arrivé plusieurs fois et si on ne tire pas comme un malade on peut très bien s’en sortir et ne rien casser. Donc je rembobine mon fil douuuuceeeement et au bon moment, TCHAAAAC ! un coup sec. Victoire me voilà libéré, enfin presque. Le coup fut tellement sec, ou énergique comme vous voulez, que j’ai pris la cuiller en pleine gueule. (Ne riez pas s’il vous plait je ne suis pas d’humeur !) Bon ce n’est pas grave j’ai bien senti le choc dans le menton et je cherche mon leurre par terre. Ne le voyant pas je rembobine tranquillement mon fil et bizarrement je vois ce dernier remonter vers ma tronche. Et c’est à ce moment que je constate que l’hameçon est planté dans le gras du menton.
Bigre, me dis-je (ça le fait hein, quand on dit bigre) je vais avoir l’air con de rentrer à la maison avec ce pendentif ! J’ai vu juste, j’ai bien eu l’air con! Mais rusé comme un renard, j’ai quand même réussi à éviter cette situation en cachant l’objet du délit dans le creux de ma main.
Certains vont se demander pourquoi je n’ai pas essayé de retirer l’hameçon avant de rentrer à la maison, les autres qui savent comment cette saloperie est foutue auront compris tout de suite !
Arrivé à la maison je dépose mon matériel de pêche, monte dans ma bagnole et je file à l’hosto. Je vous laisse imaginer l’effet que pouvait faire la cuiller au bout du menton en se balançant de droite à gauche lorsque je conduisais.
Arrivé dans la cour des urgences il y avait là un type et une femme en blouse blanche qui discutaient. Aujourd’hui un grand con frisé avec un piercing dans le menton ne choquerait plus personne, mais je vous rappelle que tout ceci s’est passé il y a 25 ans et à cette époque l’art du bout de ferraille planté dans le lard était, heu comment dire, heu…choquant, oui c’est ça choquant est le mot juste.
Je vois donc cette femme me regarder avec des yeux ébahis et toucher son menton en disant quelque chose à son interlocuteur. Le mec se retourne et me dévisage « discrètement ». Pffff quel pov'con ce mec
Je rentre donc aux urgences et pour n’effrayer personne je cache mon menton dans la main. C’est ce que j’ai trouvé le plus pratique, dans la poche ce n’était pas possible.
Arrivé à l’accueil je demande la fille qui s’y trouvait :
- Bonjour mademoiselle, serait-il possible de voir un médecin s’il vous plait ?
- Oui, c’est pour quoi ?
J’étais un peu ennuyé de lui raconter mes déboires et surtout je ne voulais pas la choquer, sait-on jamais c’était peut être quelqu’un de sensible. Pour ne pas entrer dans des explications aussi incompréhensibles qu’interminables, pour toute réponse je retire ma main ! Et là, j’ai rien compris, moi qui avais peur de voir cette pauvre fille tomber dans les pommes, sa réaction fût toute autre. Elle à bien failli mourir, certes, mais de rire !
Elle appelle donc un interne et les deux ou trois infirmières qui étaient là. Vous n’allez pas me croire, ils se marraient tous et moi qui était à deux doigt de la mort,
j’étais là comme un con à attendre que le personnel médical présent retrouve le sérieux que l’on peut attendre dans de telles situations.
Le calme revenu, l’interne daigne enfin me parler, ouf, il était temps.
- Bonjour monsieur, comment c’est arrivé ?
Je lui explique et lui l’air sérieux me dit :
- On ne pourra pas s’occuper de vous avant lundi !
- Comment ça pas avant lundi, je ne vais tout de même pas rester avec cette saloperie dans le menton tout le week-end !
- Ben, il faudra bien, le docteur Poisson est parti et il ne rentre que lundi.
Et là, éclat de rire général. Moi je riais jaune. C’est à ce moment qu’une infirmière me dit :
- Si cela ne vous dérange pas je vais faire une photo, car si vous racontez cette histoire en disant que cet hameçon était planté en plein milieu du menton, personne ne vous croira jamais.
Après la piqure antitétanique, il a été impossible de retirer l’hameçon à cause de son ardillon. Pour ce faire, il a fallu courir après une pince coupante surement trouvée au fond de la caisse à outil de l’agent d’entretien. Une fois cela fait, l’interne a été obligé de retraverser complètement le menton avec ce qui restait de l'hameçon pour retirer cette saloperie. Vous n’allez pas me croire, ce genre de mésaventure vous ne l’oubliez jamais.
Ps : Le coup du docteur Poisson est la stricte vérité, à cette époque ce chirurgien était bien en activité dans cet hôpital.