Les Français ne veulent plus du permis à pointsAmende, perte de points, suspension provisoire du permis: les infractions routières sont «sursanctionnées». Crédits photo : Le Figaro
Jusqu'à maintenant fatalistes, les automobilistes se révoltent contre le tout-répressif. Les excès de la législation et les ratés de la justice les y incitent.
«Permis à points, faisons le point.» Les pouvoirs publics ont acheté en avril quatre pleines pages dans tous les grands quotidiens pour expliquer le fonctionnement du permis à points. Imaginé en 1989, appliqué en 1992, les automobilistes français ont pourtant eu le temps de le connaître et de l'assimiler. Mais aujourd'hui, ils ne le comprennent plus, d'où cette communication sous forme d'explication. «Au lieu de combattre la délinquance, la loi en a créé», constate Rémy Josseaume, docteur en droit, président de la commission juridique de «40 millions d'automobilistes». Avec environ 25 millions de procès-verbaux dressés à l'année et entre 200 000 et 300 000 gardes à vue concernant les infractions routières, opportunément oubliées dans les dernières statistiques officielles, ces propos n'ont rien d'excessifs.
Car le permis à points, au départ imaginé comme un instrument pédagogique, s'est transformé au fil des ans en une redoutable, complexe, et insaisissable machine répressive. Au nom des morts de la route, le législateur a sorti l'artillerie lourde pour sanctionner ce qui était hier considéré comme des peccadilles. Voici quelques exemples.
• Vous êtes pris en récidive à grande vitesse sur l'autoroute, ce qui en Allemagne ne vous vaudrait aucun ennui.
En France, votre véhicule pourra être confisqué et vendu.
• Vous êtes contrôlé avec une légère alcoolémie.
La garde à vue puis la prison vous guettent.
• Vous avez, par réflexe, décroché votre téléphone au volant.
Deux points en moins.
• Vous avez oublié de céder le passage à un piéton, décidé coûte que coûte à traverser devant votre capot.
Quatre points en moins.Cumulées, ces deux dernières infractions vous feront perdre six points.Si vous êtes jeune conducteur, votre permis sera alors invalidé.
L'engorgement des tribunaux est un autre signe qui ne trompe pas. «Devant le tribunal administratif de Paris, le délai d'attente pour une instance peut aller jusqu'à deux ou trois ans», témoigne Me Jean-Baptiste Le Dall, l'un des grands spécialistes français du droit routier. Plus grave encore, sa jurisprudence, multipliant les décisions contradictoires, manque de constance. Au point que, aux yeux des experts, elle a pris l'aspect d'un gruyère juridique, qui profite bien entendu aux plus astucieux ainsi qu'à quelques officines spécialisées dans la récupération de points. L'injustice s'ajoute alors à la férocité, car selon que vous soyez riches ou misérables, vous ne perdrez pas vos points au même rythme.
Pour Rémy Josseaume, «le droit de la circulation routière est un droit spécial dérogeant à tous les principes juridiques». Il cite à titre d'exemple ce qu'il nomme la «triple peine » infligée au contrevenant routier: une amende, une perte de points et des mesures provisoires de suspension de permis. La procédure de «Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité» (CRPC) (le «plaider-coupable» des séries américaines), de plus en plus utilisée en matière de droit routier, malgré son aspect faussement consensuel, peut assez facilement vous envoyer en prison vu le carcan imposé par les nouvelles règles du droit de la route. «Un voleur est souvent plus légèrement condamné qu'un automobiliste», constate M. Josseaume.
Pour conforter ce dispositif, certains de ces défenseurs de l'ordre routier, confortablement subventionnés par les pouvoirs publics, n'hésitent pas à recourir aux plus étonnants arguments, comme présenter la spectaculaire diminution des morts sur la route en février comme une nouvelle victoire du système répressif. Or, il faisait froid en février, et les motards, hélas surreprésentés dans la mortalité routière, n'étaient guère sur la route.
Pauvres motards! Alors que les radars se multiplient, rien, ou peu, a été fait pour eux, en particulier en termes d'amélioration des infrastructures. L'automobiliste n'est pas non plus gâté sur ce point. Les stages de récupérations restent très théoriques, quand ils ne sont pas soporifiques. Rien à voir avec les stages d'amélioration de la conduite, tel l'exemplaire «Conduire juste» mis au point par Jean-Pierre Beltoise. Quant aux énormes progrès réalisés ces dernières années par la construction automobile en matière de sécurité (airbag, ABS, ESP, notamment), ils sont occultés par le «tout répressif».
Cette situation peut-elle durer? Les Français ont abandonné leur fatalisme. Selon un sondage réalisé en avril, 72% des Français sont fermement opposés à un durcissement de la répression routière. Et face aux centaines de milliers de gardes à vue, 86% d'entre eux affirment qu'une infraction routière n'ayant pas provoqué d'accident ne devrait jamais aboutir à cette ubuesque situation.
--------------------------------------------------------------------------------
Comment en est-on arrivé là? Jacques Chirac avait fait de la sécurité routière «une grande cause nationale» en 2002. Elle a sans aucun doute aidé à une prise de conscience de l'acte de conduire, pour ensuite dériver vers une répression systématique. «Un millier de radars, ça suffit!», avait déclaré dès 2005 le pourtant très chiraquien Dominique Perben, alors ministre des Transports, sentant déjà la colère monter chez les Français. Il n'a pas été écouté et les cabines se sont multipliées comme de lucratifs petits pains, permettant, par exemple, à des ayatollahs de la prétendue sécurité routière, ignorants des réalités de la route, d'entretenir la confusion entre vitesse et vitesse excessive… Ainsi, a-t-on entendu, «1% de vitesse supplémentaire aboutirait à une progression de 4% de la mortalité routière», allégation qui relève de l'exercice de sorcellerie pour tous les professionnels.
Source: Le Figaro