Devinette ! Voici un petit extrait "motard" d'un roman a l'auteur celebre :
Le premier tricycle d’Édouard c’était un monocylindre,
trapu comme un obusier avec un demi-fiacre par-devant.
On s’est levé ce dimanche-là encore bien plus tôt que
d’habitude. On m’a torché le cul à fond. On a attendu une
heure, au rendez-vous de la rue Gaillon que l’engin arrive.
Le départ pour la randonnée c’était pas une petite affaire.
Ils s’étaient mis au moins six pour le pousser depuis le
Pont Bineau. On a rempli les réservoirs. Le gicleur a bavé
partout. Le volant avait des renvois... Y a eu des
explosions horribles. On a remis ça à la volée, à la
courroie... On s’attelait dessus à trois ou six... Enfin une
grande détonation !... Le moteur se met à tourner. Il a pris
feu encore deux fois... On l’a rapidement éteint. Mon
oncle a dit : « Montez Mesdames ! Je crois à présent qu’il
est chaud ! On va pouvoir se mettre en route !... » Le
courage c’était de rester dessus. La foule se pressait
alentour. On s’est coincés Caroline, ma mère et moimême,
si bien ficelés sur la banquette, empaquetés de telle
façon, si fort souqués dans les nippes et par les agrès que
seule ma langue a dépassé. Avant de partir je prenais
quand même une bonne petite beigne, pour pas que je me
croye tout permis.
Le tricar, il se cabrait d’abord et puis il retombait sur
lui-même... Il ruait encore deux, trois secousses... Des
cracs affreux et des hoquets... La foule refluait
d’épouvante. On croyait déjà tout fini... Mais le truc en
saccades intenses gravissait la rue Réaumur... Mon père
avait loué un vélo... Il profitait de la montée pour en
mettre un coup par-derrière... Le moindre arrêt c’était la
panne définitive... Il fallait qu’il nous pousse à fond... Au
Square du Temple on faisait la pause. On repartait à toute
violence. Mon oncle déversait la graisse, en pleine
marche, à plein goulot, à travers les bielles, la chaîne et le
bastringue. Fallait que ça jute comme un paquebot. Dans
le coupé avant c’est la crise... Ma mère a déjà mal au bide.
Si elle se relâche, si on s’arrête, ça peut être la fin du
moteur... Qu’il s’étrangle et nous sommes foutus !... Ma
mère se maintient héroïque. Mon oncle juché sur son
enfer, en scaphandrier poilu, environné de mille
flammèches, nous adjure au-dessus du guidon de nous
cramponner au bazar !... Mon père nous suit à la trace. Il
pédale à notre secours. Il ramasse tous les morceaux au
fur et à mesure qu’ils se débinent, des bouts de commande
et des boulons, des petites goupilles et des grosses pièces.
On l’entend jurer, sacrer plus fort que tout son pétard.
Ça dépend des pavés le désastre... Ceux de
Clignancourt nous firent sauter les trois chaînes... Ceux de
la barrière de Vanves c’était la mort des ressorts avant...
On a perdu toutes les lanternes et la trompe à gueule de
serpent dans les petits cassis, au-dessus des travaux de La
Villette... Vers Picpus et la Grand-Route, on a perdu
tellement de choses, que mon père en oubliait...
Je l’entends encore jurer derrière, « que ça devenait la
fin du monde ! Qu’on serait surpris par la nuit ! »
Tom précédait notre aventure, le trou de son cul c’était
le repère. Il avait le temps de pisser partout. L’oncle
Édouard, pas seulement il était adroit, il avait une science
infinie de tous les raccommodages. Vers la fin de nos
excursions, c’est lui qui retenait tout dans ses mains, la
mécanique c’était ses doigts, il jonglait entre les cahots
avec les ruptures et les tringles, il jouait des fuites comme
du piston. C’était merveilleux de le voir en acrobatie.
Seulement un moment donné quand même tout foirait à
travers de la route... Alors on prenait de la bande, la
direction filochait, on allait à dame au fossé. Ça crevait,
giclait, renâclait un grand coup dans le fond de la
mouscaille.
Mon père ralliait en hurlements... Le zinc râlait une
dernière fois BUUAH !... Et puis c’était terminé ! Il
s’affalait le dégueulasse !
On empestait la campagne avec un cambouis écoeurant.
On se dépêtrait du catafalque... On repoussait le tout
jusqu’à Asnières. C’est là qu’il avait son garage. Mon
père en action puissante, il saillait fort des mollets, en bas
de laine à côtes... Les dames des bords se rinçaient l’oeil.
C’était la fierté à maman... Il fallait refroidir le moteur, on
avait pour ça un petit seau en toile extensible. On allait
puiser aux fontaines. Notre tricar ça tenait de l’usine sur
une voiture des quatre-saisons. En poussant on se mettait
en loques, tellement y avait des crochets et des fourbis
tout pointus qui dépassaient tout autour...
À la barrière, mon oncle et papa entraient au bistrot se
jeter une canette les premiers. Moi et les dames effondrés,
râlants sur un banc d’en face, attendions notre limonade.
Tout le monde était excédé. C’est moi qui prenais
finalement. L’orage était sur la famille. Auguste tenait à
faire sa crise. Il cherchait un petit prétexte. Il était soufflé,
il reniflait comme un bull-dog. Y avait que moi qui
pouvais servir. Les autres l’auraient envoyé moudre... Il se
tapait un fort Pernod. Il avait pas l’habitude, c’était une
extravagance... À propos que j’avais lacéré mon froc, il
me passait la grande correction. Mon oncle intercédait un
peu, ça l’enfuriait davantage.
C’est en rentrant de la campagne, que j’ai reçu les pires
torgnioles. Aux barrières, y a toujours du monde. Je
beuglais exprès pour l’emmerder, tant que je pouvais.
J’ameutais, je me roulais sous les guéridons. Je lui faisais
des hontes abominables. Il rougissait de haut en bas. Il
abhorrait qu’on le remarque. J’aurais voulu qu’il en crève.
On repartait comme des péteux, courbés sur l’instrument
farouche.
Y avait toujours tellement des disputes à nos retours
des excursions qu’à force mon oncle a renoncé.
« Le petit, qu’on a dit alors, l’air lui fait sûrement du
bien !... mais l’automobile, ça l’énerve !... »