D’aussi loin que je me souvienne, la moto a toujours fait partie de ma vie.
J’ai 5 ans, nous sommes dans les années 80, un ami de mes parents vient à la maison pour manger. Il est passionné de sports mécaniques, tout comme mon père d’ailleurs. Il est venu avec sa Honda 900 Bol d’Or. Celle avec les jantes en or. (Enfin, pensais je du haut de mes 5 années
)
Il me fait faire le tour du pâté de maison, assis entre lui et le réservoir. On doit être à la vitesse délirante de 30km/h, mais déjà, le virus est transmis. Il est déjà trop tard.
Ce qui fera dire à ma mère « Oh boy, what have we done ? »
Eté de mes 6 ans, mes parents bossent et ils me mettent au centre aéré pour m’occuper la journée. Il y a une initiation à la moto, via des PW 50 et 80. C’est basique, un terrain plat, des boucles, un petit parcours en fôret de même pas 300m, bref, rien de bien transcendant. Et pourtant, je découvre le sport qui me plait. Je me découvre.
D’abord avec la PW 50, puis comme je suis grand pour mon âge (déjà
) et plutôt l’aise, je bascule rapidement sur la PW 80, avé la boite semi-automatique. La classe.
Sorti de l’été, je fais bien comprendre à mes parents que le foot, contrairement à mes camarades d’école, ce n’est pas mon truc. Moi, je veux que ça aille vite, qu’il y ait du bruit, que j’en prenne plein la quiche et que je me sente vivant. Les mois passent…. Je ne dis rien, mais j’ai toujours ça dans un coin de ma petite tête. Au printemps suivant, une KX 60 d’occasion m’attend. Et mes parents m’inscrivent au club de motocross proche de la maison. (Chinon, dans le 37 pour ceux qui connaissent. Je pourrai encore me rendre sur le terrain, les yeux fermés. Si tant est qu’il soit toujours en activité)
Pendant des années, j’enchaîne les saisons en motocross, passant de la KX 60 à la KX80, puis KX125 et finalement YZ 125 et 250. C’était les années 90, Jean-Michel Bayle était mon héros, les Yves Demaria, Fred Bolley, Yannig Kervela et autres affolaient les chronos des terrains de cross. Et une nouvelle génération de mon âge arrivait déjà (Fred Pichon, Sebastien Tortelli… etc etc )
J’ai 18 ans, je me blesse très sérieusement à la jambe droite, au niveau du genou. Les bottes de motocross, ceux qui en portent ou en ont porté savent de quoi je parle, sont très rigides. Comme en ski, c’est souvent le genou qui morfle. Chute, jambe droite coincée sous la moto, bim. Terminé.
Ma mère en a un peu marre de m’emmener tous les 4 matins à l’hosto, elle voudrait que j’assure mon avenir. Alors j’obéis, de toutes façons cette dernière chute m’a bien sonné, j’ai envie de passer à autre chose.
Mais la moto, ce virus, elle, ne te quitte jamais. Tu penses pouvoir l’oublier, ce qui peut fonctionner quelques années. Mais tôt ou tard, tu y reviens.
En parallèle de mes compétitions de motocross, j’avais une Suzuki TSR 125 pour aller au Lycée, j’avais d’ailleurs passé mon permis. Le A1 je crois à l’époque ? Je ne sais plus.
Mes parents me font passer le permis B via la conduite accompagnée, mais pour le permis gros quioube, ce sera « tu te démerdes ». Bon, ben je vais faire comme ça alors. Je bosse l’été et je fais en sorte de m’inscrire au permis A avant que mon code obtenu via les précédents permis ne soit plus valide (5 ans de validité à partir de la date d’obtention)
Du coup, je n’ai que la partie pratique du permis moto à passer. Et payer. Je m’inscris donc tout fier à l’ECF de la ville où j’étudie. Première séance plateau, le moniteur, qui ne m’a pas demandé mon passif, me mets une cb500 entre les mains et là… j’ai l’impression d’avoir une enclume entre les mains. Putain qu’on est loin de mes frêles bécanes de cross.
Cependant, il détectera vite que je n’ai pas besoin d’y passer 3 plombes, il me fera faire 3h de plateau et 4h de conduite et zou, il me présente au permis. Je passe le plateau haut la main, par contre la conduite, je me plante comme une merde. Sur un boulevard, j’ai le soleil levant en plein dans la quiche, aveuglé, je ne vois pas le feu qui vient de passer orange et qui va passer rouge… je le grille comme une fleur. Inspecteur dans l’oreillette « monsieur, merci de vous garer pour nous attendre »…. Retour au centre d’examen. Echec, griller un feu, un stop au permis, c’est éliminatoire. Tant pis, je retente ma chance le mois suivant et c’est la bonne.
J’ai mon permis gros cube en poche, je fais quoi maintenant ? J’ai essayé une Fazer 600, au début des années 2000, c’est le best seller. Mais je la trouve chiante, avec un moteur creux qui ne répond qu’à partir de 8000 tr/min. Bref, bof bof. Du coup, je me dis qu’il me faut un truc qui envoie un peu plus et sur lequel je serai à l’aise. Du coup je m’oriente sur la grande sœur, la Fazer 1000 première du nom.
Elle m’accompagnera 2 ans. Je roule en duo, principalement le weekend, pour des balades tranquilles.
Je la revends via le forum Fazermen à un membre qui habite Rouen. Je vois l’état de ses machines, dégueulasse, ma compagne se met à pleurer quand on laisse la Fazer, elle sait qu’elle sera maltraitée. Je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins.
Là, au village moto de Nantes, je tombe sur une belle Kawasaki ZX12-R, le missile sol-sol du moment. Les toutes premières, avec le compteur qui dépasse les 300 km/h. Ambiance.
Exclusive, monstrueuse et impressionnante, quand tu ouvres en grand, tu as l’impression qu’une main géante te pousse dans le dos. Un truc de malade. Je la finirai dans un rail de nationale. Prise d’angle un peu trop appuyée sur du gras-mouillé, remise des gaz un peu trop généreuse (les traction control à l’époque, c’était de la science-fiction) et hop, la moto part faire sa vie sans moi. Je me relève sans rien, juste un ptit bobo superficiel au genou. La moto par contre, le cadre est sectionné en deux. Direction la casse. Heureusement, j’étais seul.
2 ans passent, je n’ai pas de moto mais je roule de temps en temps sur une Fazer 600 qu’on me prête. Je me fais bien chier d’ailleurs à son guidon. Ca frotte dans tous les virages, je finis par niquer un par-carter tubulaire. Bref, il est temps que je trouve quelque chose.
Et ce sera l’achat de ma première Aprilia en 2005, une RSV 1000 Tuono de 2003. Le précédent proprio a fait 3000 km, la bande de peur sur les pneus témoignent que la moto n’a pas été violentée.
Je garderai cette moto jusqu’en 2010. Elle aura fait 55000 km, sans aucun souci, ce qui pour une Aprilia, relève du miracle.
Entre temps, je me suis mis au circuit routier avec des potes, en détente. J’ai alors l’idée de passer le Tuono en mode circuit et je m’achète donc une autre moto. Ce sera une BMW K1200S flambant neuve. Le jour même de sa livraison, je pars direct rejoindre des potes en Dordogne pour un weekend moto. C’est un bonheur. La moto pousse franchement et dispose des toutes dernières technologies. J’adore.
Lundi 7 septembre 2007. Il est 19h, je rentre du boulot. Je dis à ma compagne « bon, heu, vaisselle ou petit coup à boire sur les quais de Garonne ? » …. Sans surprise on opte pour la seconde option. 20h30, je viens de faire le plein de la BM pour rentrer à la maison. On vient de siroter un Perrier Menthe. Nous sommes en septembre, mais il fait vraiment bon et beau. C’est top. Je sifflote en tapotant mon réservoir, j’attends que le feu passe au vert….
Et j’attends toujours.
Je me relève, je ne sais pas comment j’ai fait avec le recul, la moto est en feu sous la voiture qui vient de nous rentrer dedans. J’entends des cris et des gens affolés. Je commence à réaliser. Mon bras n’est pas à sa bonne place, mon poignet a un angle bizarre. Et ma passagère quant à elle…. Elle n’avait plus mal à ce moment-là. Je le saurai après.
Hospitalisation, déposition depuis mon lit d’hôpital, procès, longues procédures. J’apprendrai que le conducteur était ivre, et bien comme il faut. Que c’est un récidiviste. Que je n’ai rien à me reprocher, que je suis couvert, que tout se passera bien.
Tout se passera bien…. Pourquoi je suis en vie et pas elle ? Pourquoi n’ai-je qu’un handicap léger ? Pourquoi je suis passé par ce boulevard ? Pourquoi j’ai proposé un coup à boire ce soir ? Pourquoi je ne me suis pas contenté de faire la vaisselle ? Pourquoi ?
7 ans passeront après ce douloureux épisode avant que je ne remonte sur une moto. Pourtant, j’avais encore le Tuono dans le garage. Je l’ai gardé 3 ans sans monter dessus et j’ai fini par le vendre une bouchée de pain.
Septembre 2013. Mme Seeli (que certains connaissent ici) me voit regarder les sites de moto, j’écume les petites annonces sans trop savoir pourquoi. Puis en octobre, je tombe sur une belle BMW K1300S à Saint Martin d’Heres dans le 38. Elle est de 2011, elle a seulement 5000km, elle n’est pas chère. Mme vient regarder l’annonce par-dessus mon épaule.
Le lendemain elle téléphone au banquier pour demander s’il elle peut sortir la somme correspondant à la moto. Et 4 jours après nous prenons livraison.
Mais…. Si je suis content de refaire de la moto, avec Mme dans le dos, je ne suis pas à l’aise sur cette K1300S. Les routes dans le sud-est sont étroites et tournent franchement et puis, il y a sans doute une partie psychologique, me rappelant de mauvais souvenirs. Bref, je suis à la rue.
Un dimanche matin, alors que nous roulons sur l’Esterel en direction d’Agay, je me fais déposer proprement par un Z1000 et un CB1000R. Deux roadsters. Dans l’intercom, je lâche un « j’en ai marre ». On s’arrête prendre un coup à boire et Mme me dit « viens, on va chez Triumph. Tu rêves de cette Speed et tu sais qu’avec une selle confort, ça le fait pour le duo »
Le mardi suivant, je suis chez Triumph, face au vendeur. Il me fait une bonne reprise de la K1300, j’ai Mme au téléphone, elle choisit la couleur, ce sera noir.
Entre temps je m’inscris sur T@ll. Je poste ce moment où j’ai pris possession de mon Speed. Comme un gosse. Cette moto nous accompagnera pendant 20 000km et 5 mois. Ce fut une renaissance. Je l’ai mise dans tous les sens, je ne lui ai rien épargné, elle n’aura jamais bronché et m’aura permis de retrouver celui que j’étais avant. Enfin, j’avais vaincu mes démons.
La suite, vous la connaissez. L’erreur Aprilia Caponord, les 8 mois sans moto et finalement la S1000XR.
