Dimanche matin. Le soleil brille à Marseille, pas un nuage dans le ciel, 18° et le vent s'est un peu calmé. Ma compagne part voir son père avec notre fille. Le moment est idéal pour aller faire un petit tour
Je sors de Marseille par Allauch et attaque la route du Terme, une petite route sinueuse qui monte dans les collines. J'aime beaucoup cette route car son revêtement est bon, il y a deux voies bien matérialisées et en plus une bande cyclable de chaque côté, comme ça chacun peut rouler "à sa place"... enfin devrait...
Je roule plutôt tranquillement. Je me fais plaisir à mettre de l'angle en courbe, mais je n'essore pas la poignée entre deux virages. Il y a peu de circulation ce dimanche matin, c'est bien agréable d'enrouler à mon rythme
Dans une des parties les plus sinueuses je suis plein angle en train de guetter la sortie du virage quand mon cerveau analyse une anomalie dans la file de quelques voitures qui arrive en sens inverse... l'une d'elle est sur MA voie
A partir de là c'était déjà trop tard et ça a été très vite. Je me souviens juste de la calandre qui s'approche et d'une sensation du genre "c'est la fin". Mais non, il y a eu comme un petit miracle. J'imagine que le conducteur de la voiture a donné un coup de volant vers sa droite, et moi j'ai du tenter de resserer mon virage... cela a permis d'éviter le choc frontal qui aurait peut-être été fatal... et j'ai tapé la voiture sur son côté gauche en arrière de la portière.
Après, difficile de dire comment je suis tombé, j'ai senti que je me cognais à plusieurs endroits et j'ai fini en glissade au milieu de la chaussée...
Je n'ai pas perdu connaissance. Je ne pense pas avoir tapé fort avec la tête bien que le casque soit un peu abimé. Sur le coup J'ai pris le temps d'essayer de ressentir mon corps avant de bouger. J'avais mal à l'épaule, à la main, au pied, au genou et à la hanche. Tout le côté gauche (celui qui a tapé contre la voiture). J'ai voulu essayer de me relever, mais j'ai réalisé que la moto était sur moi
A ce moment les premières personnes sont arrivées, ont relevé la moto et m'ont dit de ne pas bouger. Il y avait parmis eux je pense une infirmière et un pompier car ils ont eu un comportement très pro
J'ai immédiatement demandé si la voiture qui m'avait shooté s'était arrêtée, j'ai tourné un peu la tête et je l'ai vue garée. Un homme s'est placé au-dessus de moi et m'a dit "c'est moi... on ne vous a pas vu arriver... on ne pouvait pas vous voir arriver". Comme si c'était une excuse. Je me suis dit "c'est pas vrai, je suis encore tombé sur un abruti"
Et je lui ai juste dit "quand il n'y a pas de visibilité on ne double pas, c'est pourtant simple!"
J'ai demandé s'il y avait un témoin. Un cycliste m'a dit qu'il donnerait ses coordonnées.
Puis les pompiers sont arrivés. Ils m'ont enlevé le casque en bloquant bien la nuque avec un appareil et m'ont transféré sur une civière puis dans le camion. A ce moment j'ai redemandé que le numéro du témoin soit noté. Je l'entendais qui râlait parce qu'il n'avait pas que ça à faire. Les pompiers m'ont dit que c'était noté et qu'ils me le donneraient (mais au final je n'ai rien eu
)
La Police est alors arrivée. Une policière est montée dans l'ambulance, m'a fait souffler dans le balon, m'a demandé les papiers de la moto, etc... C'était super pratique dans la civière avec la tête bloquée
Puis elle m'a demandé ma version des faits. Elle a commencé par me dire que j'allais vers Marseille, alors que c'était tout le contraire, puis que j'étais en train de doubler
En même temps elle parlait avec d'autres gens que je ne pouvais pas voir et écoutait mes réponses d'un derrière attentif
Il a fallu que j'insiste pour qu'elle comprenne vraiment ce qu'il s'était passé. Et encore je ne suis pas sûr... Je ne sais pas du tout ce que le couple qui était dans la voiture a dit, ni ce que le témoin a dit. J'ai peur de l'effet "motard = conduite dangereuse"...
Ensuite direction les urgences. Très désagréable le trajet avec l'espèce de minerve qui m'étouffait à moitié. Mais j'ai discuté moto avec les pompiers qui m'ont félicité pour mon équipement complet. Des heures d'attente pour voir un médecin et faire les radios. Et finalement le verdict : seulement 2 fractures à la main gauche (les dernières phalanges du pouce et de l'auriculaire, ceux que je laisse sur la poignée alors que j'utilise les 3 autres doigts pour le levier... sans doute pas un hasard). Sinon que des contusions et des "dermabrasions". Je m'en sors vraiment bien
Mais dès que j'ai pu souffler un peu et réfléchir j'ai commencé à me poser la question qui me perturbe : "où est-ce que j'ai merdé ?"
Bien sûr d'un strict point de vue légal le conducteur (ou la conductrice, ce n'est pas clair) de la voiture est responsable (enfin j'espère que ce sera bien établi). Mais n'empêche qu'à moto il faut toujours faire en sorte de ne pas se faire surprendre par les conneries des autres. J'en ai souvent évités des accidents dont je n'aurais pas été responsable. Mais là non. Et je me demande si j'ai raté quelque chose. A chaque fois que je me suis planté j'ai essayé d'analyser honnêtement ce qu'il s'était passé. Par exemple la fois où, sur cette même route, je m'étais retrouvé avec un camping car en face qui coupait le virage, j'étais tombé parce que j'avais eu le mauvais réflexe de prendre un peu de freins alors que j'étais déjà à un angle bien trop important pour un Thruxton et ses pneus en bois. Donc même si le camping car était clairement fautif, je savais que je n'avais pas agit d'une façon adéquate.
Mais là, dimanche, je ne sais pas ce que j'aurais pu faire de plus. Je ne roulais pas trop fort, loin des limites de la Duke, ma trajectoire n'était pas mauvaise je pense, je surveillais justement la sortie du virage. Mais la voiture était trop proche... Aurais-je pu avoir un meilleur réflexe? Je ne sais pas...
Et au final ce qui m'a fait le plus de peine ce sont les larmes de ma fille
Elle a un peu plus de 6 ans. Elle est venu avec ma compagne me chercher aux urgences (je lui avais dit de ne pas venir tant que tout ne serait pas fini pour ne pas qu'elles perdent leur temps). Elle m'a bombardé de questions sur ce qu'il s'était passé, mes blessures, l'état de la moto... J'ai essayé de minimiser mais elle a bien senti que c'était grave. A la maison à un moment elle est partie s'enfermer dans sa chambre comme quand elle boude... Puis elle en est ressortie 10 minutes après en larmes, s'est jetée sur moi et ne voulait plus me lâcher pendant une demi-heure. Elle a du avoir très peur. Il faut dire que le père de sa meilleure copine à l'école est décédé au printemps dans un accident de pêche (emporté par une vague) et que quelques mois avant elle avait perdu sa grand-mère maternelle. Donc elle a compris ce qu'est la mort...