Le CR d’un nouveau (écrit à la première personne du singulier, la seule qui vaille dans ce genre d’exercice)
Je suis parti de chez moi avec un mélange d’excitation et de crainte.
À part la promesse de virées motocyclistes, excitation de nouvelles rencontres, crainte de nouvelles rencontres.
Comment exprimer mes sentiments divers et variés sans évoquer les nombreux handicaps qui me frappent ?
Handicap n° 0 (ainsi numéroté car il apparut pendant le parcours de rassemblement)
Si je ne crains pas les conflits, quand je suis sinon concerné, du moins impliqué et que l’enjeu est de taille, je refuse en revanche catégoriquement les embrouilles sans intérêt autre qu’égotique, a fortiori quand on veut m’y entraîner de force. Autrement dit, c’est moi qui choisis mes combats et, là-dessus, je suis intraitable.
Conséquence (niveau 1 sur une échelle de 0 à 10) :
Qu’une scabreuse histoire de lieu de sustentation ruthénien ait entraîné mes compagnons de route dans une guerre picrocholine, avec bouderie à la clé, m’a fait m’enfuir. Diantre ! me dis-je in petto, s’ils sont tous aussi crispés sur les détails pratiques, l’ambiance va être tendue. J’avais malgré tout bon espoir que les choses seraient vite oubliées autour de cette boisson gazeuse faite d’orge fermentée, légèrement relevée de houblon. Cet espoir n’a pas été déçu, Dieu — qui n’existe pas — merci.
Digression : le lecteur notera l’ambivalence de cette boisson, capable de susciter les comportements les plus conviviaux et sympathiques comme les plus désagréables, comme le voit trop souvent chez nos voisins d’outre-Manche, chez nos voisins d’outre-Rhin, chez nos voisins d’outre-Quiévrain et chez nos voisins d’outre-Baltique.
Handicap n° 1
Si j’apprécie quelques échanges mécaniques me permettant de développer ma culture motocycliste, les interminables causeries sur la souplesse des amortisseurs, les hauteurs des bulles et la science de nos Fabio et Johann, sans compter les narrations des faits d’armes (vitesses moyennes, vitesses instantanées, nombre de franchissements de lignes blanches, nombre d’amputations par personne) m’ennuient relativement vite. Et je ne parle pas de la question des décibels sur laquelle — certains le savent — je ne partage pas les valeurs du club.
Encore une digression : dans mon club d’automobiles anciennes, on ne parle de notre sujet favori que pendant la moitié du temps, d’ailleurs non pas pour parler de nos autos, mais pour rêver ensemble sur celles qu’on a vues dans les magazines ou dans les salons spécialisés. Pendant une autre moitié du temps, nous comparons les mérites des foies gras du Périgord et du Gers, ou bien des Pomerol et des Haut-Médoc. Pour la troisième moitié, nous refaisons le monde, c’est-à-dire que nous fustigeons les riches (des feignants qui s’engraissent à ne rien faire) comme nous fustigeons les pauvres (des feignants qui s’engraissent à ne rien faire).
Handicap n° 1bis
Je ne connais pas la gamme Triumph, encore moins l’évolution des modèles. Il faut dire que ce constructeur n’aide pas en affublant ses productions de noms très ressemblants : Speed, Street, avec parfois des Triple qui s’ajoutent, le tout dans des gammes différentes, enfin je crois. Bref, je suis largué, il m’eût fallu une formation accélérée pour que j’appréciasse ces échanges.
Conséquence pour les 1 et 1bis (niveau 7 sur une échelle de 0 à 10) :
Je m’ennuie souvent.
Handicap n° 2
Je ne comprends pas bien l’idée du club de marque. La famille et la philosophie des classiques ont peu de points communs avec les sportives (ne me demandez pas les noms). Mécaniquement parlant, je sentirais plus aisément la proximité avec un propriétaire de Guzzi Le Mans IV ou Laverda 1000 Jota.
Conséquence (niveau 0) :
J’observe cela comme Jean-Henri Fabre regardait les coléoptères mycophages, avec un vrai intérêt mais non sans distance.
Handicap n° 3
Si j’arrive à supporter, sur ma moto, un logo noir et gris évoquant Union Jack, j’avoue que voir arborer le britannique drapeau à tout bout de champ m’indispose, n’en déplaise à sa Gracieuse et bientôt Centenaire Majesté, que Dieu — toujours identique à non-lui-même, n’est-il pas ? — la protège.
Conséquence (niveau 0,5) :
Je regarde ailleurs.
Handicap n° 4
Plus les années passent, plus les kilomètres s’accumulent (je dois en être à quarante-cinq ans de conduite moto, pour peut-être un demi-million de kilomètres, on va dire trois cent onze mille milles terrestres — vous préférez maï’l’sss ? —, moins je conduis bien (plus je conduis mal, diront les mauvaises langues).
Conséquences (niveau 2) :
Être l’objet de moqueries, voire pire, de condescendance.
J’ai malgré tout trouvé des compagnons de mon niveau ou bien suffisamment humanistes pour me le faire croire.
Handicap n° 5
Je ne manque pas, nuitamment, de produire des bruits très gênants, aussi bien avec la vibration du voile du palais qu’avec celle du sphincter anal, ce dernier phénomène étant encouragé par la consommation de la boisson citée supra, sans préjudice des manifestations odorantes qui l’accompagnent.
Conséquences (niveau 0) :
Les mêmes humanistes, aussi bien compagnons de chambre que de moto, laissant accroire qu’ils étaient sourds et anosmiques, ont fait semblant de n’être pas dérangés.
Handicap n° 6
Je suis avide de rencontres et de rencontres non superficielles (même si je suis d'accord que le small talk est un passage obligé) et déçu quand les comportements archaïques partagés avec nos cousins Néanderthaliens — par exemple conserver la même place à table, dîner après dîner — obèrent le champ des possibilités. J’ai honnêtement établi que je portais une responsabilité dans ce manque quantitatif de relations, sans que je pusse cependant en déterminer la consistance.
Conséquence (niveau 5) :
Parfois de l’ennui, de la solitude au milieu du groupe.
Handicap n° 7 (mais ça ne va pas durer)
Ma belle-mère (mère de mon épouse), âgée de quatre-vingt-dix-neuf ans, prévoit de décéder aussi sévèrement qu’incessamment — bonjour le zeugma ! — autrement dit de mourir.
Conséquence (niveau 3) :
Beaucoup d’intranquillité (de consultations de mon téléphone par voie de conséquence), dans l’attente d’un coup de fil ou sms m’invitant à rentrer immédiatement à Paris.
Handicap n° 8
Je suis difficile sur la nourriture, aussi bien qualitativement que quantitativement.
Conséquence : 0
Jamais vu aussi bon dans une collectivité.
Le sandwich du midi était certes un peu court, mais il est carrément injuste d’évoquer ce désagrément mineur.
Handicap n° 9
J’ai un sens de l‘humour assez particulier. Je suppose que ce n’est pas un scoop.
Conséquence : entre 0 et 9, c’est selon.
Ayant trouvé un zouave dans mon genre, j’ai eu l’occasion de rire aux éclats pendant quelques minutes. Et, croyez-le ou pas — mais je subodore que vous allez le croire — ça ne m’arrive pas tous les jours. Ces quelques minutes de rire justifient le voyage (je suis sérieux).
Bref, la question se pose : serai-je de la partie en 2023 ? Chi lo sa ? Pas moi !
Bien que cela soit hors CR, je tiens à dire : merci et bravo au staff, merci et bravo à Labrador et à Jef.
